Voilà
presque trente ans que Michelle Nahon fouille les archives, particulièrement de
la région de Bordeaux, afin d’éclairer notre connaissance de la vie de Martines
de Pasqually (1710 ?-1774). Elle a ainsi inventé beaucoup de documents
inédits et en a tiré la matière de nombreux articles (la plupart écrits en
collaboration avec Maurice Friot), notamment dans le Bulletin annuel de la Société Martinès de Pasqually,
fondée à Bordeaux en 1989, que Michelle Nahon préside depuis 1997. Il lui
restait à synthétiser ses travaux dans une biographie que nous étions nombreux
à attendre. La voici, sous le titre : Martinès
de Pasqually. Un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIIe siècle, fondateur de
l'Ordre des élus coëns (Pascal Galodé, 2011).
Martines
de Pasqually échappe pour partie à l’histoire et, par conséquent, pour partie à
l’historien. Mais l’intérêt de Michelle Nahon pour le théurge de Bordeaux, et
son approche biographique, pour rigoureuse qu’elle soit, dépassent de beaucoup le simple exercice
intellectuel, ce qui lui évite de tomber dans le piège de la soi-disant
objectivité chères aux instituteurs, sans se départir pour autant de la rigueur
indispensable à l’analyse des sources. Comme l’avait fait avant elle Gérard van
Rijnberk, voilà soixante dix ans, Michelle Nahon, réussit aujourd'hui à saisir des
instants de la vie du théurge de Bordeaux et à éclairer pour notre bonheur un
certain nombre d’événements d’une carrière encore bien énigmatique.
Faute
de certitude sur l’apparence physique du théurge (mais, jusqu’à preuve du
contraire, je continue de croire que le portrait que j’ai inventé pourrait ne
pas être apocryphe !), Michelle Nahon nous offre donc de Martines de
Pasqually un véritable portrait historique et philosophique.
Quel
portrait ? Les origines familiales de Martines, à commencer par son
identité, restent toujours obscures. Mais sa carrière militaire, comme
officier, le fait sortir de l’ombre. Entre 1762 et 1772, Bordeaux sera sa
capitale, après l’échec de Toulouse, et malgré des séjours à Paris et Versailles,
pour affaires profanes et initiatiques (avec la Grande Loge de France notamment),
que Michelle Nahon remet dans le contexte en les précisant.
A
la lumière des témoignages et des documents connus, Martines ne se laisse pas
réduire à la caricature du charlatan ou de l’escroc de l’initiation. (Ainsi, en
dépit de solides arguments quant à son caractère apocryphe, la question de sa
patente maçonnique, ou de celle de son père, n’est certainement pas aussi
simple qu’on le dit). Sauf à ne pas savoir lire, le livre de Michelle Nahon
contribue excellemment à montrer le vrai visage du maître des élus coëns :
celui d’un homme de Dieu, qui, certes, ne fut qu’un homme, ni sorcier, ni
magicien, comme il l’écrit lui-même, mais vrai homme de désir soucieux de sa
vocation, de sa mission, en bute à ses propres faiblesses, aux tracasseries du
monde et aux bassesses de ses frères.
La
protection de quelques grands personnages (Richelieu, le prince de Rohan…)
n’auront pas suffi à mettre Martines à l’abri des soucis financiers. Son départ
pour Saint-Domingue, en 1772, et sa mort loin des siens, en 1774, ne lui auront
pas permis non plus de mener à son terme l’œuvre d’une vie vouée à transmettre un
très précieux dépôt initiatique. Faute d’avoir pu étendre sa réforme à l’ensemble
de la franc-maçonnerie française, en quelques lustres, Martines de Pasqually et
ses émules ont pourtant réussi à édifier l’Ordre des chevaliers maçons élus
coëns de l’Univers, fleuron de l’illuminisme.
Le
Martinès de Pasqually de Michelle
Nahon constitue désormais l’ouvrage de référence pour quiconque s’intéresse au
premier maître de Louis-Claude de Saint-Martin, de Jean-Baptiste Willermoz (et
de tant d’autres dont l’histoire n’a pas nécessairement retenu le nom), que le très
digne théurge de Bordeaux, conformément à sa vocation, a aidés à leur propre initiation.
Serge Caillet