Faute d’un « original » que l’on rechercherait en vain, et pour cause, sous la plume de Louis-Claude de Saint-Martin, point de rituel martiniste, au sens où on l’entend généralement, qui exclut par conséquent les rituels de l’Ordre des élus coëns, avant la fin du XIXe siècle, c’est-à-dire avant la fondation de l’Ordre martiniste par Papus, en 1887-1891. Un premier rituel, de forme simple, a été diffusé par Papus lui-même, premier grand maître, dans les Cahiers de l’Ordre réservés aux loges régulières et aux initiateurs (réédités en fac-similé par Robert Amadou, dans les Documents martinistes, n° 14, Paris, Cariscript, 1980). On le retrouve en 1895, dans le Lucifer démasqué de Jean Kostka, autrement dit Jules Doinel, qui avait puisé à la meilleure source.
Dans le fonds Papus conservé à
Avant la Grande Guerre, Charles Détré, dit Téder, adjoint de Papus, publie à son tour un Rituel de l’Ordre martiniste dressé par Téder … sous la direction du Suprême Conseil (Dorbon aîné, 1913). Le voici réédité par les Editions de la Tarente www.latarente.com, qui font ainsi œuvre utile. Ce nouveau rituel martiniste, tout à fait officiel, et d’ailleurs rendu obligatoire à compter du 3 août 1913, diffère radicalement des précédents, du moins des précédents rituels de langue française. Car il correspond en réalité à une version française du rituel américain rédigé par le Dr Edouard Blitz, et publié par celui-ci en 1896 ! Il est vrai qu’après avoir milité en vain auprès de Papus pour un retour aux sources, Blitz avait été contraint à l’indépendance, en 1902.
En 1913, d’autres temps étaient venus, qui semblaient donner raison au Dr Blitz. Car les sources «martinistes» du grand profès Edouard Blitz étaient maçonniques (ce pourquoi Jean Bricaud l’enrôlera un peu plus tard dans les ancêtres putatifs de sa lignée coën fictive, mais c’est une autre histoire). Si Blitz semblait avoir eu raison trop tôt, l’adaptation de son rituel était désormais de circonstance, à cause des négociations engagées entre Papus, au titre de l’Ordre martiniste, et Edouard de Ribaucourt, au titre de
Ce rituel, est-il bon ? est-il mauvais ? Il est en tout cas aussi éloigné que possible du projet initial de Papus et, par conséquent, de son premier rituel. Et il est aux antipodes de la pensée et de la pratique du Philosophe inconnu, ai-je besoin de le dire ? Mais il témoigne d’une orientation de l’Ordre martiniste, sous l’influence de Téder, qui en deviendra quelques années plus tard le grand maître, avant Jean Bricaud qui, sur ce point, lui restera fidèle. En contribuant à la confusion, ce rituel pose donc la question du rapport de l’Ordre martiniste avec l’Ordre maçonnique. Il pose la question et il y répond mal ! Car, en singeant la franc-maçonnerie, l’Ordre martiniste que Papus situait initialement en dehors de celle-ci, n’a rien d’autre à y faire qu’à perdre son identité en renonçant à ses spécificités.
Et pourtant, des rapports de bon voisinage, dans une union des cœurs orientés à l’esprit – à l’Esprit – n’en demeurent pas moins possibles, et même très souhaitables, dans le respect des différences, tandis que d’aucuns qui souhaitent conjuguer en leur intime initiation martiniste et initiation maçonnique verront naître ainsi les fruits d’un très heureux mariage.
Sous réserve d’en évacuer aussi l’« esquisse historique du rite » (pp. 19-21), sans le moindre fondement, ce rituel lui-même, en dépit d’une maçonnisation déplacée, est pourtant bien capable d’instruire par sa lecture. Il témoigne enfin d’une période, certes révolue, qui n’en fut pas moins capitale dans l’histoire de l’Ordre martiniste au temps de Papus et après lui.
Serge Caillet