Qu'est-ce que l'Institut Eléazar ?

Fondé le 11 août 1990, par Serge Caillet, sous la présidence d'honneur de Robert Amadou (1924-2006), l'Institut Eléazar fêtera ses 20 ans cette année.
L'Institut Eléazar, qui n'est pas un ordre initiatique, rassemble dans l'indépendance des hommes et des femmes de désir soucieux d'étudier en toute liberté l'oeuvre de Martines de Pasqually (1710 ?-1774) et de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803).
Ce blog de l'Institut Eléazar est principalement consacré à l'actualité du martinisme : publications, études, découvertes, manifestations...

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mercredi 24 novembre 2010

Les élus coëns et le régime écossais rectifié

Parmi plusieurs ouvrages récents – sur lesquels nous reviendrons - consacrés au rite écossais rectifié, Les élus coëns et le Régime Ecossais Rectifié. De l’influence de la doctrine de Martinès de Pasqually sur Jean-Baptiste Willermoz, sous la signature de Jean-Marc Vivenza (Grenoble, Le Mercure Dauphinois, 2010) apporte une réponse définitive à la question récurrente des sources coëns du rite écossais rectifié. Car l’affaire est entendue pour qui a des oreilles pour entendre et des yeux pour lire les rituels et les instructions de ce régime singulier dont l’élu coën lyonnais Jean-Baptiste Willermoz a été l’artisan (convent de Lyon, 1778, convent de Wilhelmsbad, 1782), après avoir suivi, de 1766 à 1774, les leçons de Martines de Pasqually, au sein de l’Ordre des chevaliers maçons élus coëns de l’univers. Car Willermoz a voulu préserver dans le régime qu’il a forgé l’essentiel du dépôt de la doctrine de la réintégration.
Après avoir rappelé longuement ce que fut l’Ordre des élus coëns, ses sources spirituelles, ses éléments doctrinaux essentiels et posé les perspectives du culte primitif, de nature théurgique, confié par Martines à ses émules, Jean-Marc Vivenza, rappelle le contexte de la naissance du RER : la rencontre de Willermoz avec Martines, la réforme de la Stricte Observance. S’appuyant pour beaucoup sur les écrits de Robert Amadou, il choisit ensuite un certain nombre d’éléments doctrinaux du RER dont il montre, textes à l’appui, l’origine coën indéniable. Cet héritage coën du RER, la double classe secrète que constituent la profession et la grande profession en est le dépositaire explicite, tandis que, dès le grade d’apprenti, des symboles suggèrent au candidat, comme à ses frères plus avancés, maintes réalités de la doctrine de la réintégration : la colonne brisée, le bon compagnon, les trois éléments... Chemin faisant, l’auteur nous invite aussi à analyser la conception de la matière, le sens des nombres, les essences spiritueuses, le symbole du double triangle, la réédification du temple, autant de thèmes martinésiens que le RER s’est approprié afin d’en faire des « moyens et outils symboliques de la réintégration ».

En appendices, Jean-Marc Vivenza développe un certain nombre de thèmes spécifiques : le dogme de la Sainte Trinité,  la nature de l’air selon le Philosophe Inconnu, les objets et meubles sacrés du Tabernacle présents sur le second tableau de la loge de maître écossais de Saint-André et le rôle essentiel de la « grâce » , montrant ainsi combien, dans l’esprit de Willermoz, le RER propose une rectification essentielle de la franc-maçonnerie.

Mais Jean-Marc Vivenza va plus loin encore, pour qui la volonté de Willermoz « détenteur en tant que Réau-Croix, de l’intégralité de la transmission Coën », était de corriger l’Ordre coën lui-même sur des points essentiels qui éloignent Martines de la Grande Eglise, avec « une volonté de perfection de l’Ordre des élus coëns ». « Le Régime Ecossais Rectifié – écrit encore Jean-Marc Vivenza - corrige les coëns », notamment par une christologie exacte et la place accordée à la Sainte-Trinité, en quoi le RER relèverait du christianisme orthodoxe, tandis que les élus coëns s’inscriraient dans la lignée hétérodoxe de leur fondateur.

C’est un point de vue et une lecture de l’histoire. L’ami Jean-Marc ne m’en voudra pas de ne pas les partager, car cela suppose qu’il y eut dans l’Ordre coën une dogmatique monolithique. Or, je crois que l’histoire y montre, bien au contraire, la coexistence  pacifique de la théologie archaïque du grand souverain, ignorant les dogmes de la Grande Eglise, avec la théologie des émules, fidèles au catholicisme romain. Ainsi,  la christologie basse de Martines et sa conception anté-nicéenne de la Sainte Trinité y ont cohabité sans dommage avec des propositions propres à ne pas effaroucher l’orthodoxie d’un Saint-Martin et d’un Willermoz. En témoignent par exemple, bien avant les leçons de Lyon, les instructions aux frères de Versailles, qui portent pourtant, au sens propre, la signature de Martines. Du reste, la pratique théurgique coën – dont le rite écossais rectifié, rappelons-le, n’a pas hérité - s’accommode fort bien de la foi du maître comme de celle des disciples, l’interprétation des propositions étant en quelque sorte laissée au libre choix de chacun.
Alors, fallait-il corriger, christianiser, en un mot rectifier l’œuvre des élus coëns, ancêtre imparfait d’un RER qui serait dès lors, ni plus ni moins, la perfection même de la manifestation du Haut et Saint Ordre ? Comment expliquer alors, que, dans les coulisses du convent de Wilhelmsbad, en 1782, Willermoz conférait toujours des grades coëns originaux, et qu’en 1813, à l’âge de 83 ans il ordonnera encore au grade de grand architecte le frère Salzmann ?
 « Il n’y avait pourtant rien à changer à l’Ordre des élus coëns […]. Il y avait à finir de les réaliser ». S’agissant de la doctrine de la réintégration, le Régime écossais rectifié y contribue très certainement pour partie aujourd’hui, comme il y a contribué jadis, puisque Jean-Marc Vivenza rappelle, à l’instar de Robert Amadou que je viens de citer, que ce devoir incombe aujourd’hui à quelques hommes de désir. Dans la pluralité des formes, le régime écossais rectifié perpétue une lignée très noble à laquelle il ne se substitue que partiellement et qu’il ne corrige que dans la mesure où l’on jugera, comme c’est le cas de l’ami Jean-Marc, qu’il faut la corriger. D’autres jugeront sans doute, comme c’est mon cas, qu’il n’y avait plutôt qu’à finir de réaliser, les uns et les autres marchant, sans exclusive, dans l’esprit et la vertu d’Hély. Nul doute, en tout cas : ce nouveau livre de Jean-Marc Vivenza participe bel et bien de cette vertu et il apporte par conséquent aux ouvriers de l’un et l’autre de ces chantiers une pierre essentielle.

Serge Caillet
sergecaillet@gmail.com